Les musulmanes et les musulmans sans enfant amènent à redéfinir le sens du mariage. Leurs vécus interrogent l’autorisation supposée de la polygamie dans le Coran.
Dans un précédent article, je raconte la finalité du mariage qui n’est pas la procréation, mais plutôt un amour bienveillant entre deux partenaires complémentaires s’offrant un soutien mutuel. (Sourate 30 verset 21)
Or, actuellement avec l’appui de savant-e-s religieux, de nombreux musulmans considèrent la procréation comme la finalité du mariage. Ils légitiment donc le divorce en cas d’infertilité ou de stérilité de l’un des partenaires. Dans la plupart des cas, la femme est la laissée-pour-compte, elle se transforme en pièce interchangeable.
La polygamie, une fausse solution à l’infertilité
L’autre solution préconisée dans de nombreuses communautés pour pallier l’infertilité supposée de la femme est la polygamie. Le mari se voit parfois contraint, sous la pression de sa famille, de prendre une seconde, voire une troisième épouse afin de respecter une tradition ou une croyance attribuée à l’islam : l’obligation de pérenniser le nom de la famille ou de procréer un garçon.
Dans un tel scénario, seul l’homme bénéficie d’une autre chance d’enfanter. En revanche, dans le cas contraire, la femme est vivement encouragée à soutenir son compagnon stérile et rester mariée ; elle démontrerait ainsi sa preuve d’amour. Dans ce schéma, la femme n’existe que pour répondre (sans réciprocité) aux besoins émotionnels et physiques de son conjoint.
Autrement dit, les souffrances liées à l’infertilité ou à la stérilité, vécues et partagées d’abord à deux en tant que couple deviennent l’épreuve de la femme si son époux s’unit à une deuxième femme ou se sépare d’elle.
La solution de la polygamie entraine des situations pénibles aussi bien pour les femmes que pour les hommes ne souhaitant pas prendre une autre conjointe. Effectivement, les femmes épousées afin de pallier l’infertilité de la première compagne ne profitent pas du droit accorder par le Coran : l’amour, la bienveillance, la complémentarité et le soutien mutuel. Elles sont alors réduites à la seule fonction de leur utérus.
Non seulement la polygamie invalide la notion première du mariage, mais elle pousse au désarroi des femmes et des hommes ; cela contredit l’esprit du Coran, lequel ne cherche que la facilité et le respect des êtres.
La polygamie est-elle réellement permise?
Le Coran garantit l’équité et l’égalité homme/femme, cependant dans le cas d’un couple infertile seul l’homme est supposé pouvoir se marier à une autre partenaire. On peut donc raisonnablement conclure que si le Coran avait institué cette solution la femme l’aurait obtenue également.
De nombreux savants et théologiens mettent en doute l’autorisation présumée de la polygamie dans la sourate Les Femmes (Sourate 4 : 3). Certains s’appuient sur le verset 129 de la même sourate « Il vous est impossible d’être équitable envers vos femmes »[1] pour soutenir qu’il est impossible de traiter équitablement plusieurs épouses. Le verset 4 de la sourate 33 sert d’argument supplémentaire pour expliquer l’impossibilité d’aimer de la même manière les épouses.
Dieu n’a pas mis deux cœurs dans la poitrine de l’homme[2] (S 33 : 4)
D’autres, enfin, s’attaquent directement à l’analyse lexicographique du verset 3 de la sourate Les Femmes. Ils établissent que le verset vise à dénoncer et supprimer la polygamie et non pas à la recommander et à la codifier. [3] Le Dr al Ajami démontre par exemple que le verset dresse un parallèle entre l’injustice faite aux orphelins et l’injustice de la polygamie.
Plus les personnes sans enfant raconteront les injustices et les difficultés mentales et émotionnelles liées à la polygamie, plus les musulmans et les musulmanes se pencheront sérieusement sur l’étude du verset 3 de la sourate Les Femmes. Ils pourront alors décider en toute bonne foi si la compréhension dominante correspond vraiment à l’esprit du Coran.
© Crédit photo Unsplach Vitaly Lyubezhanin
[1] Le Coran, Nouvelle traduction de Malek Chebel, Fayard, 2009
[2] Le Coran, traduit par Jean Grosjean, Philippe Lebaud, 1979
[3] Dr Alajami ; « La polygamie selon le Coran et en Islam » ; alajami.fr