Faire le deuil, employer cette expression dans le cas de personnes sans enfant peut paraitre saugrenu, inapproprié parce que le deuil est d’abord associé à un décès, à la perte d’un être cher.
Cependant, la notion de deuil s’applique à bien des situations de perte ou de rupture : la perte de repères, d’amis lors d’un déménagement ou d’un changement de pays. L’exil forcé en raison d’une guerre ou de raisons économiques provoque la perte d’une patrie, de même que la fermeture d’entreprise cause la perte d’emploi parfois du jour au lendemain. Enfin, on trouve la catégorie qui nous intéresse ici, la perte d’un projet de vie.
Un projet de vie
Oui un projet de vie ! C’est bien de cela qu’il s’agit un projet de vie ou le rêve de toute une vie dans certains cas.
Pour des personnes qui ont souhaité des enfants, ce souhait n’a pas émergé à l’âge adulte, mais à l’adolescence ou même pendant la petite enfance. « Je veux me marier et avoir deux, trois, quatre ou six enfants ».
Le rêve d’un mariage se forme aussi dès le plus jeune âge pour certaines femmes ou certains hommes. Dans certaines cultures, les mariages en plusieurs étapes rythment les rencontres familiales et sont au cœur des discussions, naturellement, des petites filles ou des petits garçons attendent avec impatience leur tour.
Dès lors que le premier stade du mariage ne se concrétise pas, un travail de deuil commence, le deuil de la perte des années de fertilité et sa fin. La fin de la fertilité féminine se remarque plus nettement physiologiquement que pour la fertilité masculine. Dans l’imaginaire collectif, un homme reste fertile à vie ; or la production de spermatozoïde décline avec l’âge.
Célibataire ou en couple quand la vie avec des enfants biologiques s’échappe et s’envole pour de bon, cela correspond à la perte d’un projet de vie, d’un rêve.
Le deuil en islam
Dans de nombreuses communautés musulmanes, le travail du deuil commence par la formule consacrée en guise de condoléances, une formule empruntée à un verset du Coran[1] : À Dieu nous appartenons à Lui nous retournons. En plus de cette conviction, la famille et les proches rappellent en fonction des circonstances de la mort du défunt que chaque épreuve se produit pour une raison qui nous échappe.
Quand bien même cela est accepté, un travail de deuil, celui de l’apprentissage de la vie sans l’être cher, s’ensuit. C’est un processus de guérison qui peut s’avérer long dans certains cas.
Le deuil des musulmans sans enfant par circonstances
C’est donc bien cela que les personnes sans enfant par circonstances ont à apprendre, apprendre à continuer de vivre sans le pourquoi elles se sont préparées parfois des années durant, presque une vie dans certains cas.
Élisabeth Kübler-Ross[2] a identifié cinq étapes du deuil : le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l’acceptation. Voyons comment ces cinq étapes pourraient s’appliquer dans le cas de personnes sans enfant par circonstances de confession musulmane.
Le déni : Dans de nombreuses communautés, l’idée d’une obligation de conception d’enfant domine les discours religieux. Résultat : ne pas avoir d’enfant ne peut pas arriver, ne peut pas NOUS arriver, c’est inconcevable.
La colère : La colère contre le Divin « Pourquoi ? » « Pourquoi moi ? Pourquoi nous ? » « J’ai fait ce qu’il fallait » « Pourquoi lui/elle et pas moi ? »…
Le marchandage : les « si » en islam ne sont pas admis parce qu’ils remettent implicitement en cause le décret du Très-Haut et pourtant les « si » viendront de l’entourage « si tu avais fait ceci ou cela » « si tu avais porté tel vêtement ! » « Si tu avais récité ceci ou cela »… Influencé-e par ces commentaires de l’entourage, la musulmane ou le musulman sans enfant par circonstance peut commencer à s’imputer des fautes, de supposées erreurs qui auraient provoqué l’absence d’enfant (et/ou de mariage).
La dépression spirituelle : rejet total de Dieu lorsque l’on comprend que la situation restera la même, que la situation sera notre réalité irréversible
L’acceptation admettre la permanence de la situation, accepter de vivre autrement, se réconcilier avec le Divin .
Dans un prochain article, nous découvrirons les étapes possibles du deuil d’une personne musulmane sans enfant par choix.
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[1] Coran sourate 2 : 156
[2] Elisabeth Kübler Ross (1926-2004) Psychiatre, professeure de médecine du comportement